"No sex last night" (2000)
Programmation : Anna Olszewska
"No sex last night" : film de Sophie Calle, 72 min., 1992
Mercredi 21 février 2000, U.P.V. Montpellier II
De nombreuses séries, réalisées par Sophie Calle ont comme point de départ les textes. La verbalisation d’un fantasme semble être à la source de l’accomplissement de son œuvre, dont les photos constituent les traces visibles. L’art comme espace propice à la réalisation des fantasmes devient présent dans l’œuvre la plus connue de Sophie Calle "Double blind. No sex last night" de 1992. L’artiste exploite ici le film, le moyen lié à la fiction par excellence. Ce film tourné par deux cameras vidéo par Sophie Calle et Gregory Shephard prend la forme d’un road movie. Sophie Calle décide d’accomplir son vieux rêve, se marier. Dans la première scène du film elle raconte les circonstances de cette réalisation :
« Il rêvait de faire le cinéma. Je rêvais de traverser l’Amérique avec lui. Pour l’inciter à me suivre, j’avais proposé que nous réalisions durant le voyage un film sur notre vie de couple. Il avait accepté et le 3 janvier 1992, nous quittions New York dans sa Cadillac grise en direction de la Californie ».
L’utilisation des événements autobiographiques confirme la véracité du film, cependant la manipulation des images durant neuf mois de montage contribue à la fabrication d’une fiction. Ce qu’il semble être l’histoire d’un mariage est en fait ce qui l’aura suscité. Aucun des deux réalisateurs ne connaît pas, au départ, l’épilogue de cette aventure. Shephard avouera plus tard d’avoir accepté le mariage dans le seul but d’apporter une tension dramatique au film. La réalité de ce qui peut composer un documentaire s’ouvre à la fiction par sa forme. Le cadrage serré, les images réduites à une petite dimension invitent le spectateur à entrer dans un espace de la narration. Les relations entre les personnages sont elles-mêmes traversées par un jeu fictionnel : simulations, mensonges, jeux de cache-cache. Pourtant l’entretien accordé par Sophie Calle au journal Al dante, semble confirmer le côté spontané et non prémédité de ce film :
« J’ai toujours fait mes créations à partir d’une accumulation de documents que j’amasse. A priori je ne sais pas ce qui va devenir une œuvre ou pas».1
Dans "No sex last night ", l’intimité d’une vie privée est mise en exergue par le biais du cadre cinématographique. Cette concentration de l’attention sur soit est présente dans de nombreuses œuvres de Sophie Calle, où son rôle ambiguë oscille entre l’exhibition et le voyeurisme.
Selon Jean-Michel Ribettes, psychanalyste et critique d’art, Sophie Calle transforme l’ennui du quotidien en œuvre d’art. Elle transfigure le passage du temps, célèbre la négativité, la perte, l’absence, commémore une rencontre ratée. Son art construit des situations qui corrompent la séparation entre existence vécue et expérimentation artistique. L’artiste observe, décrit et photographie des vies qui lui restent étrangères, elle se laisse guider par les circonstances du moment, apprivoise l’inconnu, se familiarise avec le hasard.
Anna Olszewska, 2000
(1) L’interview in, Al dante, du 13 avril 1996, p.20