Accessoires inattendus du réel (mai 2007)
Depuis une dizaine d’années Maciek Stepinski repère les signes de l’étrange dans la réalité commune. Les sujets de prédilection de ses photographies et vidéos sont les bas-côtés des routes, travaux de construction, des autoroutes, des hangars industriels, des parkings… tous ces lieux au caractère transitoire qui apparaissent en marge des images qu’on accumule lors de nos voyages, nos déplacements. Proscrits de l’attention du regard, relégués vers l’inconscient ce sont pourtant ces espaces périphériques qui définissent le paysage contemporain. Semi champêtre, semi industriel et soumit à une transformation permanente, ce paysage se dote des nominations qui tentent de circonscrire une série de « non-lieux », tels que « zones », « aires» ou « terrains vagues».
Les détails de ces nouveaux espaces sont souvent présentés par l’artiste de manière frontale comme des natures mortes, des fragments du réel sublimés dans une mise en scène poétique et inquiétante. Ainsi, apparaissent des machines d’entretien du réseau routier, des portes de garages et de hangars, des grues, des tractopelles, des îlots aménagés dans des parkings, des lampadaires, des passages cloutés ou des sections de routes qui disparaissent dans la profondeur de la nuit…
Les photographies de Maciek Stepinski extraient ces détails de leur contexte et de leur fonction et les font apparaître comme les nouveaux repères spatiaux, les symboles muets de l’effort de l’homme à façonner son environnement à une échelle qui n’est plus la sienne, mais celle de la machine et de la vitesse. Fixées en plan rapproché dans leur représentativité majestueuse, ces éléments deviennent les figures emblématiques d’une fiction invraisemblable et surréaliste.
Le point commun de ces étranges représentations est la route. Elle assure à la fois le sens d’un itinéraire et le moyen d’atteindre un objectif. En confirmant notre rôle de passager, elle nous maintient à distance par rapport aux choses inattendues qui réveillent la mémoire de nos histoires intimes. La route devient le synonyme flagrant d’un récit linéaire qui fait état d’une transition entre le temps, le lieu et l’identité.
Dans ses photographies Maciek Stepinski fait naître un monde futuriste de machines, d’hommes réduits à des automatismes exécutoires et des espaces surnaturels où le regard s’égare tantôt dans l’obscurité de la nuit, tantôt dans l’épaisseur d’un brouillard neigeux. Ces images proches d’un décor de théâtre montrent les étendus mélancoliques où l’expérience de découvrir un espace côtoie l’angoisse de s’y perdre. Dans la série des paysages nocturnes transparaît la peur de ne plus voir, de ne plus être en mesure de contrôler l’équilibre entre la puissance des phares et ce que leur lumière permet de discerner. La narrativité de ces photographies entre l’opacité et la saturation est alimentée par les recherches formelles sur le cadrage, les couleurs, les contrastes, mais également par la réflexion sur l’intervention des procédés numériques dans la construction de l’image.
Pourtant, la pratique photographique de Maciek Stepinski ne se limite pas à une seule expression des effets plastiques. Au-delà d’une vision constructiviste par laquelle la photographie a représenté sa propre histoire, au-delà d’une approche documentaire ou autoréférentielle, l’artiste propose une démarche nouvelle qui métamorphose des sujets réels en accessoires d’une fiction. C’est avec fascination et dérision qu’il met en scène l’évolution du territoire et les critères esthétiques liés à sa transformation. En fin observateur et en usager de cet espace en mutation il montre la démesure des architectures éphémères, la fonctionnalité aléatoire des équipements et de la signalétique et pointe la manière dont l’utilitaire prend forme de l’absurde.
Pour Maciek Stepinski, la photographie n’est plus l’outil à représenter ou à révéler le monde mais devient celui à en disposer à sa manière.
Anna Olszewska